Le Vent se lève

Publié le par the idiot

The Wind That Shakes the Barley
(2006)
Ken Loach
Cillian Murphy, Padraic Delaney, Liam Cunningham

Le Vent se lève

A la fois film de guerre et manifeste politique, avec Le Vent se lève, Ken Loach retravaille des thèmes et des motifs abordés dans ses réalisations précédentes, notamment dans une œuvre très proche, déjà primée au Festival de Cannes en 1995, Land and Freedom. Si les deux films se ressemblent, décrivant des conflits de l'entre-deux-guerres fortement marqués par des aspirations socialistes et d'une nature fratricide, reprenant tous deux des chants folkloriques et révolutionnaires, des débats fortement similaires, ainsi qu'une mise en abyme qui ne peut servir que de clin d’œil de Loach à lui-même, aux niveaux formels et esthétiques, la comparaison des deux œuvres démontre surtout une nette évolution dans la carrière du réalisateur britannique et dans sa réflexion, une carrière jusqu'alors fortement marquée par le cinéma social et l'engagement politique.

Tout en se concentrant sur un microcosme représentatif et sur une courte période, Ken Loach parvient à dépeindre la guerre d'indépendance menée par les Irlandais contre la couronne britannique dans toute sa complexité et en évitant de tomber dans un manichéisme qui fait si souvent défaut au cinéma dit politisé. Si les soldats britanniques commettent des actes d'une brutalité féroce, ils symbolisent avant tout les forces répressives du pouvoir et non un peuple haineux. Les leçons du film nous amèneront peu à peu vers la conclusion que ces hommes agissent simplement en soldats, déshumanisés par une guerre pour laquelle il ne sont pas forcément les premiers responsables et que tout homme sur lequel repose le poids de ces décisions qui frisent l'impossible est amené à glisser inéluctablement vers une violence explosive et corruptrice, qu'il soit une figure héroïque ou non.

Dans Le Vent se lève, cette figure héroïque est incarnée par Damien O'Sullivan, un médecin en devenir qui ne désire aucunement prendre part à la guerre qui ravage son pays et dans lequel son frère Teddy est déjà fortement impliqué, menant un groupuscule de résistants dans la campagne verdoyante et vallonnée, attaquant les troupes de Sa Majesté au cours d'embuscades qui visent à récupérer armes et munitions pour continuer la lutte. Cependant, ses idéaux politiques qui lui vaudront à maintes reprises d'être considéré par ses amis comme un rêveur, l'empêcheront de partir à Londres pour continuer ses études et le feront plonger dans l'enfer de la lutte où il prendra peu à peu, grâce à son éducation et son habileté avec le mots, une dimension de meneur d'hommes. Il apprendra à ses dépens qu'une fois dans son emprise, la lutte ne vous lâche plus et vous pousse vers des situations toujours davantage difficiles et inextricables.

Ces situations s'avéreront bien contraires aux aspirations du futur médecin qu'est Damien. Le meurtre, le sacrifice d'amis et de camarades et être confronté à la souffrance des innocents, une souffrance provoquée par sa propre faute ou par son impuissance, seront le lot de son engagement. Une fois franchi le premier pas, malgré l'ampleur des traumatismes, il devient pourtant impossible de faire marche arrière. Tel est l'enfer de son engagement. Fondamentalement catholique et idéaliste, Damien ne peut se faire à l'idée de revenir sur son engagement une fois que ses valeurs ont été sacrifiées, il ne peut remettre en cause ce pour quoi il a renoncé à ses propres convictions. C'est à ce niveau qu'apparaît la question centrale du film : Jusqu'où doit aller la lutte ? En d'autres mots : Le compromis a-t-il une place en politique, et donc dans le conflit, ou doit-on aller jusqu'au bout de son engagement, malgré les risques à prendre pour soi-même et que l'on fait surtout prendre aux autres, ceux pour le bien desquels l'on est censé mener le combat ?

C'est aussi à ce niveau que l'histoire du film devient véritablement intéressant et trouve son développement. Alors que le gouvernement irlandais parvient à un accord avec celui de l'empire, le peuple se divise irrémédiablement en deux factions fratricides, celle qui voit dans le traité signé par les deux parties un pas en avant vers la liberté et celle qui voit dans ce même traité une trahison impardonnable à l'encontre des valeurs qui ont mené à la lutte et des nombreuses vies sacrifiées pour l'obtention d'une liberté et d'une souveraineté totales. Les deux frères, Damien et Teddy, choisissent leurs camps et s'affronteront dès lors dans une opposition sans pitié, symbolique de toute guerre civile. C'est malheureusement aussi à ce niveau que Le Vent se lève trouve ses propres limites, accélérant fortement sa conclusion et reposant sur des ressorts dramatiques plutôt que sur une réflexion politique. L'idée sous-jacente, mais jamais pleinement exploitée, de la dernière partie du film est que l'ennemi n'est pas l'incarnation du pouvoir mais le pouvoir lui-même en tant que force oppressive qui prive l'Homme du droit fondamental de jouir de sa vie.

Malgré des qualités indiscutables, l'on a tout de même l'impression d'un film quelque peu calibré qui n'ose pas, en fin de compte, afficher ses convictions réelles. Le dénouement du film, avec l'affrontement des deux frères, aurait sans doute mérité un développement plus long et complexe. La mise en scène de leur opposition devient caricaturale et berce dans un pathos larmoyant en rupture avec tout ce qui a précédé. C'est une fin que je trouve assez bâclée et qui permet à Loach la facilité de ne pas avoir à donner son opinion. L'on se retrouve dans un cul-de-sac et aucun élément de réponse n'est apporté au questionnement du film. Je n'aime pas particulièrement qu'un réalisateur nous serve sa réponse sur un plateau comme s'il s'agissait d'une vérité indiscutable, mais ici, plutôt que de simplement la laisser ouverte, je trouve que Loach finit par éviter la question qu'il avait pourtant si bien posée.

Le Vent se lève, tout en les poussant à leur extrême limite, montre donc les confins du cinéma grand public qui se doit de rester bien pensant et d'éviter de pousser la réflexion au détriment de l'avancée narrative classique. Sans être son meilleur film, Le Vent se lève demeure toutefois une bonne introduction à l’œuvre de Ken Loach et un élément important dans sa filmographie, à regarder surtout pour les questions qu'il pose et qui mènera, je l'espère, les spectateurs à découvrir des réalisations moins connues mais plus tranchantes comme Land and Freedom, Riff-Raff, Raining Stones ou encore Kes. Vous pouvez vous procurer le dvd du film chez PriceMinister, mes partenaires pour cet article.

Publié dans Cinéma

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