Monsieur Vénus : Roman matérialiste
Monsieur Vénus
(1884)
Rachilde
Publié en Belgique en 1884, Monsieur Vénus propulse la jeune Marguerite Eymery (aka Rachilde) sur le devant de la scène de la littérature décadente, genre auquel ont été affiliés de nombreux auteurs devenus bien plus célèbres que la jeune femme qui n’avait alors que 24 ans. Roman qui fit scandale dès sa sortie avec, notamment, une interdiction en Belgique pour pornographie, Monsieur Vénus fut pourtant rapidement oublié au cours de la première moitié du XXe siècle et ce n’est que lors de sa réédition en 1977 que les critiques en comprirent la modernité.
Avec ce récit narrant la romance entre le jeune artiste Jacques Silvert, homme innocent issu de la classe ouvrière poussé par sa sœur arriviste Marie, et la jeune aristocrate, Raoule de Vénérande, la parisienne en vue, convoitée de tous mais demeurant inaccessible même aux plus téméraires, Rachilde bouscule les conventions du roman sentimental, inversant totalement les rôles généralement assignés aux membres des deux sexes.
Dès les premières pages du livre, et la première rencontre entre les deux futurs amants, la confusion sexuelle se fait ressentir. Si Raoule prend Jacques pour sa sœur, Marie, ce n’est que pour mieux mettre en lumière son androgynisme qui sera souligné tout au long du roman. Le prénom même de la jeune héroïne a une allure plutôt masculine qui correspond parfaitement à son caractère de garçon manqué qui la pousse à escrimer avec un prétendant, ancien hussard Suisse, le Baron de Raittolbe, homme qui jouera un rôle important, incarnation de la normalité face à l’anti-conventionnalisme des autres protagonistes.
Si cette inversion des sexes paraît innocente à premier abord, elle devient plus perturbante au cours du récit en notamment concernant les rapports intimes entre Raoule et Jacques. Si l’héroïne veut faire de ce-dernier sa maîtresse, ce n’est pas qu’au sens figuré du terme. Rachilde avoue avoir pensé à « une femme qui aimerait les hommes et qui avec des moyens que vous devinez […] – l’art mécanique imite tout – les enc[ule]. » Ainsi Monsieur Vénus est l’histoire d’une femme qui devient homme et d’un homme qui devient femme.
Le titre même du roman est ambigu dans la mesure où il nous plonge dans l’impossibilité de déterminer s’il se réfère à Raoule ou Jacques ; tous deux sont d’une façon ce monsieur Vénus. Les amants sont ostracisés pour leurs pratiques une fois celles-ci découvertes par le public et, alors même que la bienséance interdit à tous d’en faire état, l’hypocrisie de la société laisse le couple ignoré de tous, libre de jouir de leurs plaisirs particuliers dans la solitude où les a plongé leur amour.
Ce qui s’avère être le plus intéressant dans le propos de Monsieur Vénus, hormis la volonté évidente de Rachilde de choquer et de se rendre subversive, hormis la transgression sexuelle que l’écrivaine pousse à la limite, est l’idée suggérée tout au long du roman de l’impossibilité de créer une dichotomie entre le mâle et la femelle. Alors même que Jacques joue le rôle de la maîtresse et que Raoule endosse celui du mari, les deux amants restent conscients de leur véritable identité et de la mascarade à laquelle ils se livrent, au simple fait que toute leur romance n’est que mise-en-scène. Ce qui est réellement intéressant est l’idée même de la coexistence de la virilité et de la féminité en chacun des sexes – idée qui est évidemment présente dans le titre qui en somme résume à merveille le livre.