Exhumé : Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg

Publié le par Marc

Ne vous retournez pas
Don't Look Now
Réalisé par Nicolas Roeg
(1973)

Dans Ne vous retournez pas, un film qui adopte, en se situant dans un fantastique morbide à la lisière du réel, un aspect de rêve éveillé faisant éprouver au spectateur cette sensation d’engourdissement si propre au deuil, la caméra du cinéaste britannique Nicolas Roeg (qui signe ici son troisième film après Performance et Walkabout) suit le cauchemardesque parcours de Laura et John Baxter, un couple espérant à tout prix oublier la récente noyade de leur fillette en s'exilant de leur demeure de la campagne anglaise, le théâtre du drame, pour plonger dans les ruelles labyrinthiques et dépaysantes de Venise. Mais la Cité des Doges, où John a été engagé pour rénover une église, s'avérera avec ces cours d'eau qui l'entourent et la traversent de toutes parts ne pas être le lieu idéal pour le couple d'échapper au souvenir qui le terrasse. Chaque nouveau cadavre des victimes d’un tueur en série que la police locale repêche dans la lagune, le moindre bruit qui réverbère parmi les sombres et étroites ruelles, viennent rappeler au couple l'omniprésence de la mort dans le geste le plus banal de leur quotidien. Si jusqu'alors le film semble s'ancrer fermement dans le registre du drame psychologique, la rencontre entre Laura et une médium aveugle, péripétie qui semble en un premier temps amorcer une amélioration dans son état comme dans celui du couple, fera définitivement glisser le film dans la zone d'ambigüité qui subsiste entre le réel et le paranormal, faisant résonner les paroles prophétiques que prononçait John au cours de la première scène : « Nothing is what it seems ». Cette première scène, l’on n’en comprendra tout le sens que lorsque l’histoire sera menée à sa conclusion car Roeg prend, tout au long du film, un malin plaisir à briser la linéarité de son récit, comme lors d'une scène de sexe devenue célèbre pour son érotisme précoce et qui montre John et Laura faisant l'amour en alternance avec des images du couple s'habillant pour sortir une fois leurs ébats terminés. Cette liquidité temporelle permet au cinéaste d'associer et de faire ressortir certaines thématiques clefs de l'œuvre par le biais d'éléments visuels et narratifs. L'eau, un ciré rouge ou le verre brisé deviennent ainsi synonymes de mort et signes précurseurs d'un danger encore intangible mais qui se précise toujours et encore. Empruntant à Hitchcock la technique d'un récit permettant de mettre en scène la psyché des personnages tout en ménageant le plus pur suspense, Ne vous retournez pas ne lèvera le voile sur son dénouement qu'au cours de ses ultimes plans. Même alors, le film laisse au spectateur le soin de répondre aux nombreuses questions soulevées et préférera laisser ce dernier la tête emplie d’images teintées d'horreur plutôt que de réponses toutes faites. Voici, en peu de mots, un très intelligent film de genre.


Ne vous retournez pas, un film de Nicolas Roeg disponible en DVD (zone 2) aux éditions BFI

Publié dans Exhumations

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